Le statut de Société Européenne

et la participation des salariés

 

Evelyne Pichot
La Haye, le 27 Avril 2001
Troisième rencontre européenne
de l’actionnariat salarié
 
 

Introduction

 
Le présent document vise à donner un aperçu du projet de statut de société européenne et de ses perspectives en matière de participation des salariés en Europe[1].
 
Il traite successivement :
·         des dispositions prévues dans le cadre du statut de société européenne et des débats ayant accompagné l’élaboration de ce statut
·         des relations de ce statut avec les systèmes de participation des salariés aux décisions et activités des entreprises,
 
Les systèmes nationaux, en matière de sociétés comme en matière de participation des salariés, connaissent une diversité liée à l’histoire, au cadre économique, social et politique dans lesquels ils s’inscrivent. Une convergence européenne est cependant clairement identifiable, notamment par comparaison avec d’autres systèmes à l’oeuvre dans le monde, et la naissance du statut de société européenne contribue à renforcer cette identité.
 
Au coeur des questionnements sur les rôles respectifs des sphères « financière » et « sociale » dans les choix des entreprises et les responsabilités de ses parties-prenantes (« stakeholders »), les réflexions relatives à l’actionnariat salarié ne peuvent ignorer les évolutions en matière de participation des salariés aux organes et décisions des entreprises, ni le modèle de gouvernance à la base de la future société européenne
 
 
I. Le statut de société européenne et les dispositions communautaires en matière d’information, de consultation et de participation des salariés
 
1. Projet de statut de société européenne et participation des salariés
 
La société européenne ou SE, constituera un nouveau type de société anonyme, de droit communautaire, à caractère optionnel, établie par fusion, constitution d’une filiale commune ou d’une holding entre sociétés de différents pays, ou par transformation d’une société nationale.
 
Le projet s’est heurté pendant trente ans à la question de la participation des salariés dans les organes sociaux. Remis en selle par le contexte économique et financier européen actuel ainsi que par l’élan donné par les comités d’entreprise européens, le projet a fait l’objet en 1997 de nouvelles réflexions et propositions sur cette question de blocage[2].
 
Un projet de règlement sur le statut et un projet de directive sur l’information, la consultation et la participation (« l’implication ») des salariés dans la société européenne ont depuis lors été à nouveau en discussion au Conseil, basés sur la négociation entre partenaires des sociétés constituantes, l’application de dispositions de référence en cas d’échec des négociations, la prise en compte des situations des sociétés constituantes en matière de participation.
 
Ces projets ont obtenu l’accord de 14 Etats sur 15 aux Conseils de Décembre 1998 et Mai 1999, l’Espagne seule s’opposant aux solutions proposées relatives à la participation. Un compromis, ouvrant une possibilité d’option aux Etats Membres quant à la transposition des dispositions de référence sur la participation, a été trouvé à Nice en Décembre 2000 sous présidence française. Ce compromis, acté par le Conseil du 20 Décembre 2000, ouvre la voie à l’adoption définitive du règlement et de la directive sur la société européenne en 2001, après nouvelle consultation du Parlement Européen.
 
Compte-tenu d’un délai de transposition de la directive de trois ans, le statut de société européenne devrait être effectif en 2004. Les dispositions qu’il prévoit en matière d’information, consultation et participation des salariés sont les suivantes :
 
·         L’implication des salariés au niveau de la SE fait l’objet d’une négociation entre un groupe spécial de négociation constitué de représentants des salariés et les directions des sociétés constituantes durant le processus de constitution de la SE ; ces négociations ont une durée maximale de six mois, pouvant être portée à un an.
 
·         La majorité qualifiée (2/3 des voix représentant 2/3 des salariés de 2 pays) est nécessaire pour un accord prévoyant une réduction des droits de participation, établis en proportion des membres des organes désignés ou recommandés par les travailleurs, lorsque la participation couvre la moitié des salariés, pour une SE constituée en holding ou filiale, ou un quart des salariés pour une SE constituée par fusion ; la majorité qualifiée est aussi nécessaire pour arrêter les négociations (option zéro).
 
·         Aucune réduction par accord des droits d’implication n’est possible pour une SE constituée par transformation.
 
·         En l’absence d’accord et d’ »option zéro », les dispositions de référence sur l’implication s’appliquent à compter de l’immatriculation de la SE lorsque les sociétés constituantes décident de poursuivre la constitution de celle-ci.
 
·         Les dispositions de référence prévoient la mise en place d’une instance européenne de représentation des salariés (en place du comité d’entreprise européen), avec des moyens en formation et expertise, disposant d’un droit à être informée et consultée lors d’une réunion annuelle ou de réunions en cas de circonstances exceptionnelles, avec dans ce dernier cas une possibilité de nouvelle rencontre de l’organe compétent de la SE pour tenter de parvenir à un accord lorsque que l’avis de la représentation n’est pas suivi.
 
·         Les dispositions de référence sur la participation s’appliquent lorsque le groupe de négociation le décide et que la participation couvre la moitié des salariés des sociétés constituantes en cas de SE formée par holding ou filiale, un quart des salariés en cas de SE constituée par fusion (dans les pays n’ayant pas prévu d’opting-out) ; la participation est calquée sur le système « le plus élevé » dans les sociétés constituantes ; en cas de SE par transformation, il y a poursuite du mode de participation.
 
·         La constitution de la SE ne porte pas atteinte aux droits nationaux d’implication et aux droits de participation dans les filiales ; les Etats peuvent prendre des dispositions pour assurer le maintien des structures nationales de représentation en cas de fusion et donc de disparition des sociétés constituantes ; une prévention du détournement de procédure est prévue par la directive.
 
La question de la société européenne est de particulière signification pour l’Allemagne en raison du système de composition quasi-paritaire de conseil de surveillance des grandes sociétés qui peut se trouver affecté, ainsi que le montrent les grands processus de fusion en cours. Mais elle touche également les autres pays, qu’ils disposent ou non de systèmes de participation, en conduisant à réexaminer les modes de gouvernance et de relations sociales au sein des entreprises, dans un contexte d’européanisation et d’internationalisation accéléré.
 
 
2. Lien avec les autres dispositions communautaires en matière d’information, consultation et participation des salariés
 
Deux directives des années 70, dites directives structurelles, touchent l’information et la consultation des travailleurs dans les entreprises :
 
    - En matière de licenciements collectifs[3] : une procédure de consultation préalable des représentants des travailleurs est requise « en temps utile », « en vue d’aboutir à un accord »; elle porte « au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences » ; « tous renseignements utiles » doivent être fournis « en temps utile » « afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives » ; la possibilité de faire appel à des experts est prévue.
 
    - En matière de transferts d’entreprises ou d’établissements[4] : une information des représentants des travailleurs est requise « en temps utile avant la réalisation du transfert », « en tout cas avant que les travailleurs ne soient affectés directement dans leurs conditions d’emploi et de travail » ; lorsque sont envisagées des mesures à l’égard des travailleurs, du cédant ou du cessionnaires, des consultations sont requises sur ces mesures « en vue d’aboutir à un accord »; « l’information et la consultation doivent intervenir en temps utile avant la réalisation de la modification au niveau de l’établissement ».
 
L’impact de ces deux directives en matière d’harmonisation des dispositions nationales d’information et de consultation en cas de licenciements collectifs et de transferts a été important, particulièrement dans les pays de tradition volontariste comme le Royaume-Uni.
 
La troisième « directive structurelle », traitant de la protection des salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur[5], ne comporte pas avant révision de dispositions en matière d’information et de consultation.
 
Ce sont cependant la directive sur les comités d’entreprise européens et la proposition de directive sur l’information et la consultation des travailleurs, mises en exergue dans les questions de responsabilité sociale des entreprises lors d’opérations transnationales, dont les liens avec le statut de société européenne sont les plus étroits.
 
La directive de 1994 mettant en place les comités d’entreprise européens[6] a traduit la nécessité d’informer et de consulter les salariés dans un cadre transnational.
 
Cette directive prévoit que les modalités spécifiques de représentation, d’information et de consultation sont définies par accord dans les entreprises et groupes de dimension communautaire. En cas d’échec des négociations après trois ans, un comité d’entreprise européen est mis en place et fonctionne selon des « prescriptions subsidiaires » prévues dans l’annexe de la directive. Les groupes dans lesquels existaient déjà au 22 Septembre 1996 « un accord applicable à l’ensemble des travailleurs, prévoyant une information et une consultation transnationale des travailleurs » ne sont pas soumis aux obligations découlant de la directive jusqu’à l’expiration de ces accords et leur reconduction éventuelle. La très grande majorité des accords existant à fin 2000 sont des accords conclus dans cette dernière configuration (accords « article 13 »).
 
L’affaire dite de Renault Vilvoorde[7] a mis en lumière les exigences d’information et de consultation des salariés portées par la directive, y compris en cas d’accord.
 
Cette directive doit être révisée sur la base du bilan établi de son application[8] et de l’état d’avancement des autres dispositions communautaires en débat traitant de l’information et de la consultation des travailleurs.
 
En 1998, la Commission Européenne a adopté une proposition de directive en matière d’information et de consultation des travailleurs[9]. Cette proposition de directive établit un cadre général comportant notamment une définition de l’information et de la consultation ainsi qu’une liste non limitative des domaines couverts en la matière et laissant une grande place à l’adaptation nationale et négociée de ce cadre.
 
Si les dispositions françaises répondent déjà largement à cette proposition, il n’en est pas de même dans tous les pays européens. Le mode de relations sociales existant au Royaume-Uni est le plus éloigné des fondements du cadre général proposé, ouvrant un intense débat parmi les acteurs européens sur l’opportunité d’une intervention communautaire en cette matière.
 
La Présidence française de l’Union Européenne a engagé la discussion de cette proposition au Conseil. Dans l’état des débats au Conseil des 27 et 28 Novembre 2000, la proposition :
 
·         Vise, à « établir un cadre général fixant des exigences minimales pour le droit des travailleurs à l’information et à la consultation dans les entreprises situées dans la Communauté Européenne »,
 
·         Prévoit que les Etats Membres choisissent comme champ d’application les entreprises d’au moins 50 travailleurs ou les établissements d’au moins 20 travailleurs ;
 
·         Affirme deux principes à respecter dans la définition et la mise en œuvre des procédures d’information et de consultation «  l’effet utile de la démarche » et « l’esprit de coopération » entre l’employeur et les représentants des travailleurs ;
 
·         Dispose que les Etats Membres « déterminent les modalités d’exercice du droit à l’information et à la consultation des travailleurs », « peuvent autoriser les partenaires sociaux au niveau approprié, y compris au niveau de l’entreprise, à définir librement et à tout moment par voie d’accord négocié » ces modalités « dans le respect des principes » ci-dessus , prévoient les dispositions protégeant la confidentialité des informations sensibles ainsi que des « sanctions adéquates (…) effectives, proportionnées et dissuasives » en cas de violation des dispositions ;
 
·         Prévoit que l’information et la consultation recouvrent notamment « l’évolution probable » des activités et de l’emploi ainsi que « les mesures d’anticipation envisagées le cas échéant » et « les décisions susceptibles d’entraîner des modifications importantes dans l’organisation du travail ou dans les contrats de travail » ;
 
·         Prévoit que « l’information s’effectue à un moment, d’une façon et avec un contenu appropriés, susceptibles notamment de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen approfondi et de préparer, le cas échéant, la consultation » ;
 
·         Prévoit que « la consultation s’effectue à un moment, par des moyens et avec un contenu appropriés ; au niveau pertinent de direction et de représentation en fonction du sujet traité ; sur la base des informations pertinentes fournies par l’employeur et de l’avis que les représentants des travailleurs ont le droit de formuler ; de façon à permettre aux représentants des travailleurs de se réunir avec l’employeur et d’obtenir une réponse motivée à leur éventuel avis » et qu’elle s’effectue « en vue d’aboutir à un accord » lorsqu’il s’agit de décisions susceptibles d’entraîner des modifications importantes dans l’organisation du travail ou dans les contrats de travail.
 
Les développements relatifs à l’information, la consultation et la participation des salariés constituent un enjeu majeur pour le droit social européen dans les prochaines années, dont la cohérence avec les projets de développement de l’actionnariat salarié devra être recherchée.
 
 

Modalités de la participation des salariés aux organes sociaux

 

 

Organe

 

Secteur

 

Représentation des salariés

 

CA

CS

Public

Privé

 

Allemagne

 

x

+500 salariés

y compris groupes

1/3 sièges si 500-2000 salariés

1/2 sièges si + 2000 salariés, président nommé par actionnaires a voix prépondérante

1/2 sièges dans mines-sidérurgie si + 1000 sal., et groupes rattachés ; directeur du travail avec accord des salariés

Autriche

 

x

y compris groupes

1/3 sièges

Pays-Bas

 

x

SA-SARL +100 sal.

K >22.5 Mio florins

droit de veto sur nomination des membres du CS et directoire

réunions conjointes CE-CS

Luxembourg

x

 

SA participation publique

SA + 1000 sal

 

1/3 sièges

Danemark

(x)

x

SA-SARL + 50 sal.

groupes

2 membres à 1/3 sièges

2 membres

France

x

 

 

x

 

x

(x)

 

 

(x)

 

(x)

si CA ou CS

 

+200 sal

si CA ou CS

 

 

 

si statuts  prévoient

2 ou 4 membres du CE avec voix consultative, possibilité de voeux avec réponse motivée

 

2 membres si 200-1000 sal., 1/3 sièges si +1000 salariés

 

maximum 4 membres (5 si SA cotée) ou 1/4 sièges

Espagne

x

 

+1000 salariés

 

choix entre commissions paritaires et 1 mb dans CA par syndicat comptant 25% des DS et membres de CE

Portugal

x

 

 

x

 

 

dispositions prévues non appliquées

Grèce

x

 

secteur “socialisé”

 

1/3 sièges du CA et 1/3 sièges dans “assemblée représentative de contrôle social”

Irlande

x

 

11 organismes

 

 

1/3 sièges

Finlande

x

 

+ 150 sal en Finlande

groupes : + 500 sal en Finlande

 

suivant accord, sinon 1 à 4 membres formant ¼ des sièges

Suède

x

(x)

+ 25 salariés

au niveau du groupe

minoritaire : 2 mb (et 2 suppl.) ;

3 mb (et 3 suppl.) Si + 1000 salariés en Suède

 
 

 
II. Systèmes nationaux de participation des salariés aux décisions des entreprises
 
1. Organes des sociétés et participation des salariés
 
Les sociétés par action sont de deux types en Europe :
    - celles où il y a coexistence entre un organe de gestion, le directoire, et un organe de surveillance, le conseil de surveillance (structure dualiste) ; c’est le cas habituellement en Allemagne, Autriche et aux Pays-Bas ;
    - celles où l'organe unique est le conseil d'administration (structure moniste), avec une importance particulière des membres dirigeants ; c'est généralement le cas dans les autres pays européens.
 
Une représentation du personnel dans ces organes de surveillance ou d'administration des sociétés (la « participation ») est prévue, y compris dans le secteur privé, en Allemagne, Autriche, Luxembourg et dans les pays nordiques. Les représentants du personnel ont habituellement les mêmes droits et devoirs que les représentants des actionnaires, hormis en matière de conflits collectifs. Cette représentation est généralement minoritaire, un tiers des sièges au maximum, sauf en Allemagne.
 
Ces pays, hors le Luxembourg, prévoient également la participation à l’échelle du groupe.
 
Il existe des formes intermédiaires entre l’information-consultation des instances représentatives des salariés et la participation dans les organes sociaux :
    -   aux Pays-Bas : recommandation sur la nomination des membres du conseil de surveillance et réunions conjointes Conseil d’entreprise - Conseil de surveillance ;
    -   en France : délégation du comité d’entreprise au Conseil d’administration.
 
Dans le secteur public ou "socialisé", des dispositions plus larges, paritaires ou minoritaires, de représentation du personnel dans les organes sociaux sont prévues en France, Espagne, Grèce, au Luxembourg et en Irlande.
 
Cette participation de représentants des salariés au conseil d’administration ou de surveillance des sociétés assure des fonctions de :
 
 

Modes d’intervention des représentations des salariés

 

 

 

Représentation

information consultation

Co-détermination

 

négociation

Allemagne

Betriebsrat

xx

xx

x

Autriche

Betriebsrat

xx

xx

x

Pays-Bas

Conseil d'entreprise

xx

x

x

Luxembourg

Comité mixte d'entreprise

xx

 

(x)

Danemark

Comité de coopération

xx

 

(x)

Belgique

Conseil d'entreprise

xx

 

(x)

France

Comité d'entreprise

xx

 

(x)

Espagne

Comité d'entreprise

x

 

x

Portugal

Commission de travailleurs / DS

x

 

x

Grèce

Conseil des travailleurs

x

 

x

Royaume- Uni

shop stewards

(x)

 

xx

Irlande

shop stewards

(x)

 

xx

Italie

Représ° syndicale unitaire

x

 

xx

Finlande

Délégation syndicale

x

x

xx

Suède

Délégués syndicaux

x

x

xx

 
 
        - contrôle et approbation des décisions majeures en Allemagne : l'Allemagne est le seul pays à prévoir dans certains cas une parité (secteur minier et sidérurgique) ou quasi-parité (entreprises de plus de 2000 salariés) des représentations des salariés et des actionnaires ;
 
    - information et association à la prise de décision en Autriche, dans les Pays nordiques, au Danemark et au Luxembourg où la représentation est minoritaire : En Norvège, une assemblée mixte, qui élit le Conseil d’administration et décide en matière d'investissements, est composée d'un tiers de représentants des salariés ; la participation de représentants des salariés s’effectue également, en Suède, au sein du comité exécutif, des structures de décision ou de planification issues du Conseil d’administration et, en Autriche, au sein des commissions issues du Conseil de surveillance.
 
La participation remplit également des fonctions de renforcement de l’information et de la consultation exercées au niveau des instances élues de représentation des salariés, d’articulation entre les canaux syndicaux et élus d’intervention des salariés, ainsi que de communication dans les entreprises et autour d’elles.
 
 
2. Autres modes d’implication des salariés dans les entreprises
 
 
L’information et la consultation constituent, en complément de la négociation, le mode essentiel d’association des représentants des salariés aux décisions économiques des entreprises:
·         sur une base volontaire, hors licenciements collectifs et transferts au Royaume-Uni et en Irlande,
·         sur une base obligatoire ou générale dans les autres pays.
 
En matière économique, l'ensemble des représentants dispose, de manière plus ou moins systématique, d'une possibilité d'information voire d'intervention sur :
·         la situation économique et financière de l'entreprise,
·         les mouvements de personnel et l'organisation du travail,
·         les décisions affectant le personnel de façon importante.
Concernant les licenciements collectifs et transferts d’entreprise, les dispositions nationales sur l'information et la consultation des représentants du personnel ont fortement été harmonisées par les directives structurelles communautaires.
 
Mais les variations sont très importantes concernant les éléments concurrentiels, prévisionnels et stratégiques des entreprises. La France et la Belgique ainsi que la Norvège et le Danemark ont particulièrement développé et systématisé l'information sur ces questions, tandis que les pays méditerranéens et anglo-saxons l'intègrent de façon volontariste ou irrégulière. Des formes de droit d’enquête viennent renforcer les procédures d’information et de consultation en France (expert comptable), en Belgique (réviseur) et aux Pays-Bas (en cas de présomption de mauvaise gestion).
 
Cette information-consultation est complétée  par des systèmes de codétermination en Allemagne, Autriche, aux Pays-Bas, en Suède et en Finlande.
Les formules allemandes et autrichiennes de codétermination sont basées sur des procédures d'agrément, droit de veto et prise de décision en commun. La codétermination y intervient principalement en aval des décisions économiques, par exemple, en cas de changement important ou de licenciement collectif prévu dans l'établissement. Un accord doit alors être trouvé entre direction et CE, sous peine de décision externe par une instance de conciliation. Les autres formules nommées "codétermination" et intervenant sur les modifications importantes d’activité sont la procédure d'avis avec délai suspensif et possibilité de recours aux Pays-Bas, l'obligation suspensive de négocier en Suède et en Finlande.
 
Ces dispositions relatives à l’implication des salariés sont aujourd’hui sous les feux médiatiques en raison de la multiplication des restructurations à caractère européen
 
 
III. Perspectives sur la participation des salariés
 
La dernière décennie a été celle de la construction d’une Europe plus large, mais aussi un temps de changements profonds touchant à la participation des salariés dans entreprises européennes:
·       Les entreprises sont passées d’une gestion de la croissance et des crises à un processus permanent de restructuration, amenant une exigence croissante de prise en compte du point de vue des salariés, en amont et non plus seulement en aval, des décisions économiques.
·       Le « gouvernement d’entreprise » est devenu un objet de débat public à travers l’Europe, entraînant un questionnement sur les modalités de la prise de décisions dans les entreprises, dans lequel cependant la place des salariés reste à développer.
·       Le débat sur la façon de conjuguer responsabilité sociale et réponse aux pressions d’une mondialisation galopante s’est construit entre partenaires sociaux des entreprises mais prend également une dimension plus large, intéressant l’ensemble de la société.
·       La réalisation du marché et de la monnaie uniques ont fait de l’Europe un espace économique et social, voire politique, de plus en plus significatif pour les entreprises comme pour les acteurs sociaux.
·       Les systèmes nationaux de relations sociales deviennent interdépendants, des actions sociales européennes ont vu le jour et des structures transnationales de représentation et d’intervention des salariés -les comités d’entreprise européens- ont été mises en place.
·       L’actionnariat salarié a connu un développement majeur dans différents pays.
·       Le droit social communautaire a connu une période de développements essentiels, particulièrement en droit du travail, et des projets soumis à intenses discussions ont été initiés en matière d’information, de consultation et de participation des salariés.
 
L’intervention de salariés dans les organes et processus de décision des entreprises relève de deux enjeux, dont l’articulation peut paraître délicate :
·       un enjeu de performance : la prise en compte du point de vue des salariés apparait nécessaire pour améliorer la qualité de la prise de décision, favoriser sa lisibilité des décisions prises, réduire le temps nécessaire à leur mise en oeuvre, améliorer l’attitude des salariés dans leur acceptation et éxécution, renforcer l’intérêt des salariés dans l’entreprise, valoriser mieux les ressources de l’entreprise,...
·       un enjeu de redistribution du pouvoir et des ressources : les salariés, comme partie-prenante essentielle à l’entreprise, revendiquent une influence dans le processus de décision au sein de l’entreprise et l’intégration de leurs intérêts dans les décisions prises.
Les différentes études et observations menées sur les pratiques nationales existantes révèlent que ces deux perspectives ne sont pas incompatibles entre elles mais le sont toutes deux avec un « mode de vie » de l’entreprise orienté vers les logiques financières à court terme et la confrontation.
En Allemagne par exemple, la commission « Mitbestimmung », composée conjointement de responsables d’entreprises et organisations patronales, de syndicalistes, de chercheurs et de responsables politiques a conclu ses travaux en Avril 1998[10].
Le rapport de cette commission observe que dans les mutations de l’organisation du travail, « la participation réactive intervenant ex-post est remplacée par une association permanente des représentants des salariés à un processus partagé d’information, de recherche, d’apprentissage et de décision, là où cela parait nécessaire, que cela soit ou non requis par la loi ».
Ce rapport indique que la participation correspond à un positionnement stratégique sur la production diversifiée de qualité, basé sur des innovations en termes de processus, pour lequel la flexibilité de l’organisation et de la technologie, la valeur du « capital humain » et la coopération au sein des entreprises favorisés par la participation constituent des atouts déterminants. Il considère que dans une recherche de compétitivité sur le long terme, la participation a généralement permis une adaptation structurelle négociée et acceptée des entreprises aux exigences accrues du marché.
Des conclusions assez proches ressortent d’une recherche conduite par le centre de planification néerlandais analysant les modèles anglo-américain, allemand et néerlandais de gouvernement des entreprises[11].
Soulignant la difficulté de distinguer le rôle joué par chacun des différents éléments constituants d’un système, cette recherche relève quelques possibles conséquences de la participation des salariés sur la performance des entreprises. En négatif, apparaissent le ralentissement voire l’entrave du processus de décision, la poursuite d’intérêts propres par les salariés, la gêne dans les réaffectations externes de personnel. Par contre, la qualité de la prise de décision, l’établissement de relations de confiance dans et autour de l’entreprise, la qualité professionnelle et la flexibilité interne des salariés, l’amélioration de la performance à long terme de l’entreprise,... se révèlent résulter de manière positive de la participation.
Cependant, la question centrale, tant de la participation que de l’actionnariat salarié est celle de l’articulation entre point de vue « social » et point de vue « économique ».
Les fortes réactions publiques aux plans sociaux de groupes affichant de bons résultats économiques et financiers indiquent que le débat sur cette articulation est loin d’être théorique et intéresse l’ensemble de la société.
Les débats entre acteurs sociaux sur le rôle de l’entreprise, sur sa responsabilité envers les salariés et envers la société sont animés et les avis divergent fréquemment. La question est généralement posée en termes de priorités. Pour les uns, il conviendrait d’abord de garantir l’efficacité économique puis de traiter les conséquences sociales. Pour les autres, la priorité serait avant tout sociale. Mais un sens propre à cette confrontation des points de vue entre intérêts économiques et intérêts sociaux, intérêts locaux et intérêts plus larges, intérêts à court terme et intérêts à long terme, intérêts privés et intérêts publics, intérêts des actionnaires et intérêts des salariés est difficile à concevoir.
Différentes analyses permettent pourtant d’approcher une telle conception :
·       Le professeur Arie de Geus, de la London Business School, a reçu en 1998 le prix Mc Kinsey pour une étude consacrée à cette articulation, démontrant que le développement durable de l’avantage compétitif des entreprises implique une valorisation conjointe du « capital » humain et financier.
·       Le rapport du groupe d’experts européens sur « gérer le changement » [12] indique: « le groupe est convaincu que les entreprises ne sont pas responsables uniquement vis-à-vis de leurs actionnaires mais encore des autres parties-prenantes. ».
·       En Allemagne, la commission « Mitbestimmung », avec toutes ses composantes, a indiqué[13] « Lorsque la participation fonctionne dans (un) esprit de coopération, elle constitue un moyen d’intégration sociale autant qu’un moyen de gestion efficace de l’entreprise en alliant responsabilité sociale et raison économique. »
·       Le rapport du groupe d’expert sur « l’avenir du travail », sous la coordination d’Alain Supiot[14], indique à ce sujet : « L’information, la consultation et la participation des travailleurs au sein des entreprises jouera un rôle de premier plan dans les relations collectives de travail. Les initiatives communautaires, déjà approuvées ou en attente de l’être, destinées à favoriser cette participation au sein des entreprises européennes, ne pourront que stimuler l’importance de la négociation collective lors de la recherche de l’adaptabilité et pour le développement de la compétitivité des entreprises, ainsi qu’en ce qui a trait aux conséquences de leurs décisions sur l’emploi. » « Les entreprises multinationales et les groupes d’entreprises acquièrent une importance croissante et la négociation collective développée dans ces structures sera elle aussi de plus en plus importante. »
 
Les développements relatifs à l’information, la consultation et la participation transnationales des salariés constituent un enjeu majeur dans la vie des entreprises pour les prochaines années, qu’elles adoptent ou non le statut de société européenne. Les réflexions sur l’actionnariat salarié se doivent d’intégrer cette composante de l’association des salariés à la vie de l’entreprise.
 
Evelyne PICHOT, Avril 2001


[1]
Les systèmes nationaux en matière de représentation, information, consultation et participation des salariés dans les entreprises ont été développés dans un rapport effectué pour la Commission Européenne: "L'Europe des représentants du personnel et de leurs attributions économiques" publié en français, anglais et allemand en supplément 3/96 de la revue "Europe Sociale". Texte révisé en 1999 en cours de publication.
          Evelyne Pichot - Fax : +33 (0)4 76 52 36 68 - Email : evelyne.pichot@wanadoo.fr
 
[2] Groupe d’experts « european systems of worker involvement (with regard to the european company statute and the other pending proposals) présidé par Etienne Davignon, rapport final en Mai 1997
[3] directive 75/129/CEE du Conseil du 17 Février 1975 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, modifiée par la directive 92/56/CEE du Conseil du 24 Juin 1992, actes consolidés par la directive 98/59/CE du Conseil du 20 Juillet 1998
[4] directive 77/187/CEE du Conseil du 14 Février 1977 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements, modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil du 29 Juin 1998
[5] directive 80/987/CEE du Conseil du 20 Octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur
[6] directive 94/45/CE du Conseil du 22 Septembre 1994 concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure dans les entreprises de dimension communautaire ou les groupes d’entreprises de dimension communautaire en vue d’informer et de consulter les travailleurs ; transposée en France par la loi n°96-985 du 12 Novembre 1996 relative à l’information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d’entreprises de dimension communautaire, ainsi qu’au développement de la négociation collective ; étendue au Royaume-Uni par la directive 97/74/CE du Conseil du 15 décembre 1997
[7] Cour d’Appel de Versailles, Arrêt n°308 du 07.05.97, Sté Renault c/ CGE Renault, Le Ministère Public, FEM
[8] Rapport de la Commission au Parlement Européen et au Conseil sur l’état d’application de la directive concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d’entreprises de dimension communautaire en vue d’informer et de consulter les travailleurs, COM(2000)188 final, le 04.04.2000
[9] Proposition de directive du conseil établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté Européenne, adoptée par la Commission Européenne le 11 Novembre 1998
 
[10] Mitbestimmung und neue Unternehmenskulturen - Bilanz und Perspektiven, Empfehlungen & Bericht der Kommission Mitbestimmung, Bertelsmann Stiftung & Hans-Böckler-Stiftung, Gütersloh 1998
[11] Governance of stakeholder relationships : the German and Dutch experience ; Research Memorandum n°127, G.M.M. Gelauff and C. den Broeder, Central Planning Bureau for Economic Policy Analysis, The Hague, April 1996
[12] Gerer le changement ; Rapport final du groupe d’experts de haut niveau sur les implications économiques et sociales des mutations industrielles, Bruxelles, novembre 1998
[13]  op.cité (1)
[14] Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe ; Rapport final, Bruxelles, Juin 1998