Les tendances de l'investissement socialement responsable
4 février 2003 - Flash Spécial

La S.E.C. américaine décide la transparence des politiques de vote des fonds de commun US. Les investisseurs responsables US applaudissent.

Le 23 janvier, la SEC (Securities Exchange Commission, la COB américaine) a majoritairement approuvé deux nouvelles règles de transparence pour les fonds communs américains. Celles-ci rendent obligatoires, pour l'ensemble des fonds communs américains et des conseils en investissement, la transparence de leur politique de votes par procuration et leurs votes lors des assemblées générales des entreprises.
Sur fond de remise en cause des pratiques de corporate governance américaines (Enron, Worldcom, etc.) et du renforcement des dispositions législatives avec l’adoption de la loi Sarbanes Oaxley, la SEC répond aux demandes pressantes d'un grand nombre d'investisseurs institutionnels socialement responsables, parmi lesquels on compte Domini Social Investments, mais également de nombreux syndicats.
Pour eux l’enjeu était clair : permettre aux actionnaires d'être à même de mieux comprendre et d'évaluer jusqu'où les fonds s'impliquent dans la défense de leurs intérêts, en votant sur des questions primordiales de corporate governance et d'impacts sociaux et environnementaux.
Les scandales qui ont atteint plusieurs grandes entreprises américaines, et ont fait fondre l'épargne retraite de nombreux salariés, ne sont pas étrangers à cette demande de transparence des investisseurs SR. Leur souci de préserver la valeur à long terme de leurs placements les a naturellement amené à presser la SEC de réglementer, enfin, le sujet.
En effet, l’exercice des droits de vote constitue de manière incontestable un levier d’amélioration de la performance à long terme des portefeuilles. La SEC innove réellement avec ces nouvelles dispositions qui constituent de fait une nouvelle « disclosure regulation » ou « clause de transparence » en matière d’exercice des droits de vote en assemblée générale. 
A l’heure où les pouvoirs publics français sont sur le point d’adopter le projet de loi sur la sécurité financière, les nouvelles dispositions adoptées par la SEC ne peuvent manquer de constituer une source d’inspiration.

Eric Loiselet 

Les nouvelles dispositions adoptées par la SEC en matière de politique de vote brisent la chape du secret qui cachait la politique de vote des fonds   
Dispositions concernant les sociétés d'investissement:
Les dispositions adoptées par la SEC changent substantiellement la donne en matière d’exercice de droits de vote pour les fonds communs et les sociétés qui les gèrent :
  • Politique de votes par procuration et procédures des sociétés d'investissement
    Un fonds devra révéler dans sa déclaration d'enregistrement les politiques et procédures qu'il utilise pour déterminer la manière dont il use des votes par procuration de ses portefeuilles de titres. Cette transparence inclut les procédures utilisées lorsqu'un vote présente un conflit entre les intérêts des actionnaires, d'une part, et ceux du conseiller du fonds d'investissement - principal soumissionnaire - ou de certaines de ses filiales, d'autre part. Cette transparence s'appliquera aux résolutions déposées le 1er juillet 2003 et après.
  • Résultats des votes par procuration des sociétés d'investissement
    Un fonds devra remplir le nouveau formulaire N-PX, qui contiendra la totalité des résultats de ses votes par procuration sur une période de 12 mois, s'achevant le 30 juin et plus tard le 31 août de chaque année. Il devra publier les informations suivantes sur chaque question sur laquelle il a été appelé à voter:
    • l'identification de la question,
    • si la question a été proposée par un émetteur ou par un détenteur de titre,
    • si et de quelle manière le fonds a voté,
    • s'il a voté en faveur ou contre les dirigeants de l'entreprise.

Les fonds auront l'obligation de divulguer leur premières politiques de votes par procuration au plus tard le 31 août 2004, pour une période de douze mois s'achevant le 30 juin de la même année.

  • Mise à disposition auprès des actionnaires de l'information sur les votes par procuration
    Un fond devra mentionner dans son rapport aux actionnaires que l'information sur ses politiques de votes par procuration et ses procédures est disponible gracieusement, sur demande, en appelant un numéro de téléphone gratuit, ou sur son site web, s'il existe, ainsi que sur le site web de la SEC. Un fonds devra mentionner dans sa déclaration d'enregistrement et dans ses rapports aux actionnaires qu'il enregistré le résultat de ses votes par procuration auprès de la SEC et que le dossier est disponible sur le site de la SEC et auprès de lui. Un fonds pourra mettre à disposition le résultat de ses votes sur son site web ou sur demande.

Dispositions concernant les conseils en investissement:
Les conseils en investissement sont aussi concernés par les nouvelles dispositions introduites par la SEC en matière de transparence dans l’exercice des droits de vote. La SEC a en quelque sorte « bouclé » le dispositif :

  • Politique de votes par procuration et procédures des conseils en investissement : Les conseils en investissement qui exercent les votes par procuration pour les titres de leurs clients devront adopter et mettre en application des politiques et procédures écrites sur ces votes. Celles-ci devront être raisonnablement conçues pour s'assurer que le conseil vote dans le meilleur intérêt de ses clients, et ils devront expliquer de quelle manière le conseil règle les conflits d'intérêt qui peuvent survenir entre ses clients et lui-même. 
  • Information à leurs clients sur les votes par procuration  des conseils en investissement : Les conseils en investissement devront décrire à leurs clients leurs politiques et procédures concernant les votes par procuration, et leur fournir une copie de celles-ci sur demande. Ils devront également informer leurs clients de la manière dont ceux-ci peuvent obtenir une information de leur conseil, et de quelle manière les votes par procuration ont été exercés pour les titres que leurs clients détiennent.

Les politiques de votes par procuration et les procédures devront être effectives, pour les conseils en investissement, qui devront en informer leur clients, dans les 180 jours après la publication de ces nouvelles règles au Registre Fédéral. 

 

En savoir plus:

Les règles de la SEC sur la transparence des politiques de vote: http://www.sec.gov/news/press/2003-12.htm

Les investisseurs socialement responsables américains, de même que l’AFL CIO, se félicitent de ces nouvelles dispositions 

Les réactions ne se sont pas fait attendre à l'annonce du nouveau règlement de la SEC: les membres de la coalition d'investisseurs qui faisaient pression sur le gendarme de Wall Street saluent sa décision.
par Nathalie Fessol

Amy Domini applaudit le succès d’une campagne engagée de longue date pour l’amélioration de la transparence de la gestion des fonds

"Les investisseurs concernés par le sujet et l'ensemble des investisseurs socialement responsables applaudissent. Nous venons de remporter une victoire importante, à la fois pour la transparence de la gestion des fonds communs et pour l'amélioration des pratiques de corporate governance", a déclaré Amy Domini. La présidente de Domini Social Investments (DSI) a engagé la bataille pour la transparence de la politique de votes des fonds communs depuis de nombreuses années, et avait écrit à la SEC, en décembre dernier, pour lui demander d'exiger cette transparence (cf. l'article de SRI in Progress # 20). DSI avait d'ailleurs déposé, ainsi que l'AFL-CIO et IBT (le syndicat des camionneurs et transporteurs américains) une pétition auprès de la SEC en 2001 appelant un changement de la réglementation en matière d’exercice des droits de vote.

 

En fait, depuis septembre dernier, lorsque la SEC avait commencé à interroger les investisseurs sur une réglementation en la matière, Amy Domini était entrée en campagne, mobilisant autour de cette proposition de réglementation à la fois ses propres actionnaires, mais également des citoyens américains et des investisseurs SR, tels que Pax World Fund, Calvert et le Shareholder Action Network. Elle avait également obtenu le soutien de Working Assets - une société de cartes de crédit SR - et celui de l'organisation de Ralph Nader, Citizen Works. 8 000 lettres étaient parvenues à la SEC sur le sujet.

" Les fonds communs sont propriétaires d'environ 19% des sociétés cotées américaines et leurs votes lors des assemblées générales annuelles représentent 90 millions d'investisseurs individuels. Jusqu'à présent, ces investisseurs n'avaient aucun moyen de connaître la manière dont leurs gérants de fonds avaient voté sur des questions essentielles telles que la rémunération des dirigeants, la diversité des conseils d'administration, les paradis fiscaux et d'autres questions ayant des impacts sociaux et environnementaux forts. A l'inverse, les dirigeants des entreprises se sont livrés à un lobbying appuyé pour que les résolutions qu'ils proposaient soient votées et eux seuls avait accès aux résultats des votes. Nous avons tous vu le tragique résultat de ce système, qui fonctionnait dans une opacité totale, et donnait lieu à  des conflits d'intérêt", a ajouté la présidente de DSI, en soulignant que jusqu'à présent les seuls gérants de fonds à avoir publié à la fois leur consignes de vote et leurs votes avaient été des investisseurs SR.

 

Avec cette nouvelle réglementation, les gestionnaires de fonds et les conseillers en investissement "seront plus responsables devant leurs investisseurs", précise Adam Kanzer, le directeur de l'activisme actionnarial de DSI. "Nous croyons qu'ils seront moins à même d'apposer leur cachet sur les propositions du management des entreprises et plus à même d'avoir une vision indépendante de ce qui est le meilleur intérêt des actionnaires. En tout cas, ces réglementations permettront aux investisseurs de sélectionner des gérants de fonds qui s'investissent dans l'amélioration de la corporate governance et dans l'incitation à une plus forte responsabilité des entreprises ".

Et Amy Domini conclut en se disant persuadée que cette nouvelle transparence qui protège les investisseurs aura des effets positifs non seulement sur la corporate governance, mais également sur la performance sociale et environnementale des entreprises, dont le pouvoir et l'influence n'ont jamais été aussi importants.

Le US SIF se félicite de cette victoire qui étend la notion de devoir fiduciaire des fonds

Timothy Smith, le président du US SIF, s'est également félicité de la décision de la SEC, puisque les investisseurs auront ainsi la possibilité d'évaluer l'engagement des fonds dans la corporate governance et la valeur à long-terme pour les actionnaires. Pour lui, si les investisseurs SR ont devancé la réglementation de la SEC, c'est parce qu'ils compris de longue date que les fonds ont un devoir fiduciaire dans le fait que leurs votes par procuration aillent au mieux des intérêts de leurs actionnaires et de leurs clients. En rappelant que "l'avidité des dirigeants n'était pas la seule cause" des scandales Enron, Tyco, etc., mais que certains gérants de fonds avaient soutenu les conseils d'administration de ces entreprises ainsi que les rémunérations de leurs dirigeants, tout en votant contre de nombreuses mesures de bonne gouvernance qui auraient permis d'éviter de tels désastres, T. Smith souligne que les nouvelles règles de la SEC "déchirent la chape de secret qui protégeait jusqu'à maintenant les votes par procuration des fonds " du besoin d'information du public. Si le président du US SIF est sans  illusion sur l'opposition de certains fonds à la réglementation de la SEC, au prétexte qu'elle serait "coûteuse et gênante", il rappelle que toute autre proposition sur une clause de transparence serait de toutes façons en butte à une opposition systématique.  Notons que les leaders de l'opposition à cette réglementation sont les sociétés d'investissement Vanguard et Fidelity Investments. Cette dernière avait vu, l'an dernier, ses bureaux assiégés par des centaines de syndicalistes et de militants d’ONG diverses qui lui demandaient des comptes tant sur ses votes sur les propositions émises par les entreprises que sur ses votes lors des assemblées générales d'Enron, de Lockeed Martin et de Stanley Work (cf. ci-dessous) tout en la pressant de cesser son opposition aux règles sur la transparence proposées par la SEC.

L’AFL – CIO, signataire de la pétition adressée à la SEC, salue ce rééquilibrage des droits des actionnaires face au pouvoir des dirigeants de firme et s’en prend à Fidelity

L'AFL-CIO, la confédération syndicale américaine, avait elle aussi soutenu le principe de la transparence de la politique de vote des fonds communs - dont les actifs gérés s'élèvent à environ 3 milliards de dollars - en signant la pétition adressée à la SEC. Son secrétaire-trésorier Richard L. Trumka s'est adressé à l'autorité de régulation boursière américaine le 23 janvier dernier, jour de la discussion sur le vote des nouvelles règles de transparence, en soulignant que celles-ci ont le mérite d'éviter le mélange des genres et la compromission des gérants de fonds qui votent des propositions  "pour s'attirer les faveurs des présidents des sociétés dans le but d'obtenir des contrats de gestion des plans de retraite juteux ". Enfonçant le clou, il s'en est nommément pris à Fidelity Investments, "le plus gros fonds commun du monde et l'un des plus importants actionnaires de la plupart des grandes entreprises", en l'accusant d'avoir utilisé ses actions "pour s'opposer à une proposition demandant une majorité d'administrateurs indépendants au conseil d'administration de Tyco, pour ré-élire un administrateur d'Enron chez Lockeed Martin et pour approuver une proposition de Stanley Works visant à délocaliser son siège social aux Bermudes".

Richard Trumka a souligné que des règles de transparence permettraient, si Fidelity soutenait des propositions similaires dans le futur, que ses votes ne demeurent plus secrets. Il a rappelé que les investisseurs, pour mieux évaluer et interpréter les votes de leurs fonds communs, auront besoin d'aide pour identifier et suivre ces votes, avant même qu'ils ne soient effectifs. Les nouvelles règles de la SEC permettront à l'organisation syndicale d'ajouter les directives de votes et les votes des fonds communs à l' "AFL-CIO Key Votes Survey"(*) ("Étude de l'AFL-CIO sur les votes-clé") au fur et à mesure qu'ils seront connus.

"Maintenant les propres actionnaires d'un fonds commun connaîtront ce que les présidents des entreprises connaissent déjà, à savoir comment les fonds jouent de leurs votes par procuration" a conclu Richard L Trumka, après l'annonce de la décision de la SEC.

Bruce Raynor, le Président du syndicat des ouvriers du textile UNITE (Union of Needletrades, Industrial and Textile Employees), considère qu'il s'agit d'une vraie victoire en faveur d'une réforme des entreprises: "Des fonds communs, comme Fidelity, ne pourront plus cultiver le secret. S'ils utilisent les votes par procuration pour favoriser l'avidité des entreprises aux dépens des investissements des travailleurs, nous le saurons et les en tiendront responsables".

Rappelons que la réglementation de la SEC concerne l'ensemble des fonds communs, y compris les plans 401(k)

(*) l' "AFL-CIO Key Votes Survey", publiée depuis 5 ans, est une revue systématique de la politique de vote des gérants de fonds. La dernière étude, datant de 2001, analyse les votes de 167 gérants de fonds et consultants sur les votes par procuration, sur 32 propositions relatives à la corporate governance, les salaires des dirigeants et la responsabilité sociale du management.

 

En savoir plus:

 


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Eric Loiselet 
Rédaction: Nathalie Fessol
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